Où en est mouvement climatique

Ce texte rédigé initialement en allemand, le 18 décembre 2021, a été publié le 04.01.2022 sur www.sozialismus.ch.  Il constitue la 4e contribution dans le cadre d’un échange en allemand suscité par le livre « Revolution für das Klima, Warum wir eine ökosozialistische Alternative brauchen » que Christian Zeller a fait paraître en 2020 chez l’éditeur allemand Klimaneutral. Le débat a commencé le 4 janvier 2021 par une première contribution de Urs Zuppinger. Christian Zeller y a répondu en juin 2021. Nous publions ici la traduction de la 2e et 4e contribution traduite par l’auteur en vue de l’Autre Davos 2022 qui se tiendra sur zoom du 14 au 15 Janvier, avec la présence de Christian Zeller. (La 2e contribution avait été suivie en septembre 2021 par une 3e contribution de Christian Hofmann, non traduite)

Où en est mouvement climatique ?

Cet automne, le cours de la confrontation au sujet de la crise climatique a pris une tournure inquiétante. Ill n’y a pas eu de riposte adéquate de la rue suite à l’issue cynique de la conférence des Nations Unies à Glasgow. Après deux ans de crise de la pandémie du Covid le mouvement climatique a perdu de son élan et on ne sait pas comment et quand il reviendra en force. – Où en sommes-nous aujourd’hui au juste ?

Urs Zuppinger (MPS Lausanne)

La situation actuelle est caractérisée par deux autres évolutions non moins remarquables encore.

Nous devons admettre d’une part que le capitalisme nous a encore une fois surpris. En réponse aux protestations climatiques, il a été capable de lancer une nouvelle machine à profit en un rien de temps. Partout dans le monde, la production et la distribution de moyens de production et de biens font l’objet d’ajustements écologiques « réalistes » ‘, compatibles avec les conditions économiques et sociales existantes. Ainsi semble se dessiner devant nos yeux une sortie de la crise climatique à la fois concrète et raisonnablement possible dès aujourd’hui grâce à la mise en place d’un capitalisme « vert », rapidement réalisable et compatible avec le maintien de la réalité économique et des rapports de pouvoir en place.

Nous assistons d’autre part en parallèle, à l’extérieur et à l’intérieur du mouvement climatique, à l’essor des partisans de la stratégie des petites étapes réalisables à court terme qui avancent leurs pions en échange constructif avec les adeptes du « capitalisme « vert ».  

Or, la combinaison de ces deux nouveautés est en train de modifier notre vie quotidienne dans de nombreux détails concrets, hic et nunc. De plus, les partis écologistes s’efforcent en parallèle de consolider et, si possible, amplifier leur poids au niveau institutionnel un peu partout sur terre en exploitant l’attention médiatique qui est accordée é la thématique écologique depuis trois, quatre ans.

Dans leur combinaison ces deux dynamiques ont sapé l’audience dont l’aile radicale jouissait au sein du mouvement climatique avant le début de la pandémie. Mais ce constat n’est pas une excuse pour nous éco-socialistes, car l’avancée de la crise climatique impose son échéancier à tout le monde. Simplement, il est devenu encore bien plus urgent pour nous de prendre des mesures qui permettent d’améliorer la qualité et l’efficacité de nos propositions, initiatives et déclarations politiques.

Pour devenir concret : nous devons dépasser une situation où des têtes pensantes de l’éco-socialisme jouissent d’un écho public considérable alors que les organisations éco-socialistes sont minuscules et divisées, sans exception ou presque. Et où on nous traite d’utopistes, sauf exception, dès que nous avançons des démarches, projets et revendications concrètes. Nous pouvions négliger ce dilemme dans une certaine mesure tant que le mouvement pour le climat mobilisait la jeunesse, car celle-ci était ouverte à notre point de vue, du moins en partie. Mais aujourd’hui la partie  « pragmatique » du mouvement semble prendre le dessus.

Or, dans le fond, la situation n’est pas désespérée, car une partie non négligeable de la population secouée par la crise climatique comprend de fait qu’une solution à la crise climatique est incompatible avec la pérennité des rapports de production capitalistes.

Mais elle n’arrive pas à dépasser cette compréhension abstraite de la problématique, car rien dans son environnement quotidien ne lui suggère, ne serait-ce que de manière embryonnaire, comment dépasser en temps utile ce capitalisme omniprésent et mettre en place un mode de vie et de production qui respecte la nature.

Il n’y a pas d’autre choix

Malgré cet handicap les éco-socialistes que nous sommes doivent aujourd’hui définir, faire connaître et mettre en œuvre sans tarder et ne serait-ce que partiellement, des stratégies crédibles et concrètes en accord avec notre compréhension de la situation qui permettent d’atteindre le but extrêmement ambitieux qu’il faut atteindre à très brève échéance à partir d’une situation présente qui nous est manifestement très peu favorable. C’est impératif !

Dans mon échange avec Christian Zeller au sujet des perspectives éco-socialistes en cours sur www.sozialismus.ch, trois tâches ont été abordées qui me semblent particulièrement importantes en rapport avec cette problématique.

1.      La construction d’un courant éco-socialiste international

Dans sa contribution du 25 juin 2021, Christian Zeller a fait la proposition de construire une « tendance internationale claire sur le plan programmatique et apte à agir ». Il a développé ses idées à ce sujet de manière méthodique dans une suite d’articles consacrés aux « Stratégies éco-socialistes dans l’Anthropocène », qui a paru à l’automne 2021. A cette occasion il y a exprimé son espoir que des progrès puissent être accomplis Dans ce domaine lors des mobilisations qui devaient avoir lieu en automne 2021 à l’occasion du salon international de l’automobile de Munich et de la conférence mondiale sur le climat à Glasgow début novembre 2021. La réalité n’a pas répondu à ses attentes. La nécessité reste de promouvoir sans tarder le développement d’un courant éco-socialiste au niveau international.

2. Le développement, la propagation et la mise en œuvre de revendications et de mesures qui répondent à la fois aux besoins des salariés et remettent en question les rapports sociaux et de production dominants

Dans sa contribution du 29 septembre 2021 Christian Hofmann demande que nous, éco-socialistes, élaborions et fassions la promotion d’un programme de revendications et de mesures pouvant être « immédiatement mis en œuvre » tout en donnant « néanmoins une réelle impulsion vers une rupture révolutionnaire avec l’ordre dominant. » –  Lui et ses amis ont inventorié des revendications mis en avant par le mouvement climatique en Allemagne qui répondent à ce double critère, puis il y a sélectionné celles qui « dans leur mise en œuvre auraient à la fois des effets réels en termes de réduction de CO2 et ne pourraient pas être mises en œuvre sur le dos des salariés tout en attaquant de les fait par la force des choses la propriété bourgeoise. »

Cette méthodologie doit être interrogée et approfondie. Je déduis de cette proposition que nous, devons aujourd’hui élaborer, en tant que deuxième axe d’une stratégie qui nous unira géographiquement le plus largement possible, des réponses à la question des revendications à avancer face à la crise climatique dans une perspective éco-socialiste et en plus mettre ces revendications à l’épreuve dans le cadre de participations à des luttes concrètes. Ces revendications doivent correspondre à des enjeux concrets et actuels et en même temps se démarquer clairement des revendications des défenseurs de la stratégie des petits pas et des avancées du capitalisme « vert ».

La réponse concrète à cette question ne sera pas forcément la même, selon l’environnement national ou local et l’état des conflits et des débats. A mon sens, le courant éco-socialiste à construire devrait se donner comme objectif de définir une méthodologie qui permette à ses membres locaux de formuler de telles revendications, de les mettre à l’épreuve de la pratique et de renforcer en même temps le courant dans l’échange mutuel entre interventions locales, interventions régionales et avancées au niveau international.

3. La recherche et la mise en œuvre de moyens concrets pour favoriser l’ancrage social du mouvement climatique

Dans mon article du 3 janvier 2021 j’avais relevé ce qui suit : dans son livre « Révolution pour le climat », Christian Zeller nous montre de façon vivante quel type et quel degré d’ancrage social et de mobilisation le mouvement climatique doit atteindre pourque la transition vers l’éco- le socialisme puisse devenir une perspective politique concrète. Il y démontre ensuite de manière convaincante que le niveau actuel d’organisation et de conscience de la classe des salarié.e.s est loin de satisfaire ces exigences. Or, par la suite, il ne répond pas de manière convaincante à la question de savoir comment surmonter cette situation initiale difficile avant qu’il soit trop tard. Dans sa contribution du 25 juin 2021, Christian Zeller a admis ma critique et développé à titre de réponse un large éventail de propositions complémentaires stimulantes.

Dans ma critique du livre de Christian Zeller du 3 janvier 2021, j’avais postulé qu’une réponse à la question de savoir comment améliorer l’ancrage social du mouvement climatique à court terme ne pouvait être trouvé que dans la pratique sociale concrète. Partant de là j’avais développé l’idée, en tant que perspective d’action immédiate et lieu d’expérimentation pratique possible, que de nombreux membres du mouvement climatique sont confrontée à la nécessité de trouver à court terme une voie pour accéder au monde du travail et j’avais affirmé que cette perspective pouvait constituer un point de départ possible pour faire à court terme des pas en avant concret en matière ancrage social du mouvement climatique. Christian Hofmann a rejeté mon idée comme un non-sens.

Sans doute il y a encore beaucoup à clarifier en matière d’ancrage du mouvement climatique dans le monde du travail. Mais il va de même en ce qui concerne les questions soulevées et les réponses données par Christian Zeller et Christian Hoffmann dans le cadre de leurs contributions. Mais des progrès ne pourront être réalisés dans les trois domaines que si nous parvenons à poursuivre ce débat et d’autres, activement et sans tarder en les approfondissant lors de conflits sociaux et politiques concrets, en réussissant à les ancrer socialement et à les élargir géographiquement.

Le temps de l’hésitation est révolu

La liste des tâches évoquées ci-dessus n’est pas exhaustive bien évidemment. En revanche il est crucial à mon avis que les éco-socialistes dont je fais partie, passent aux actes dans ces domaines et dans d’autres le cas échéant qui ont une importance comparable, et cela non plus seulement au niveau du discours et par écrit mais en prenant part à des conflits sociaux concrets.

Surmonter les difficultés auxquelles nous sommes confrontés ne sera possible que si nous parvenons à enrichir le discours politique par l’expérience pratique et à susciter à ce sujet des échanges au niveau international. Il n’y a pas d’autre voie pour améliorer le projet stratégique de l’éco-socialisme de manière qualitative. Compte tenu du contexte actuel les chances de succès sont limitées, mais je ne vois aucune autre solution.

Cela dit, l’éco-socialisme est aujourd’hui un thème récurrent de conférences politiques. L’Autre Davos 2022 qui aura lieu les 14 et 15 janvier prochains sur Zoom a ainsi pour thème « Développer des stratégies éco-socialistes ». J’ose espérer qu’une perspective s’ouvre à cette occasion qui permette de faire des progrès dans la maîtrise de la problématique abordée ci-dessus dans les mois à venir. J’aurais atteint le but de la présente contribution, si les considérations y sont développées suscitaient à cette occasion une discussion qui débouche sur une perspective d’action concrète pour la suite des activités à entreprendre.

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