L’élan de l’Extrême droite
Le Monde 02.12.21 15:47
L’élan de l’extrême droite, reflet de tensions en Amérique latine
Angeline Montoya
ANALYSE
« Il va falloir choisir entre la démocratie et le communisme ! » C’est par ces mots que José Antonio Kast, admirateur du dictateur Augusto Pinochet (1973-1990), arrivé en tête du premier tour de l’élection présidentielle chilienne du 21 novembre, a appelé les électeurs à le préférer lors du second tour, le 19 décembre, au candidat de gauche, Gabriel Boric, leader du mouvement étudiant de 2011. M. Kast a obtenu 27,9 % des voix, contre 25,7 % à M. Boric.
L’arrivée en tête de l’extrême droite au Chili détonne, mais n’est pas un cas isolé. Après la victoire de Donald Trump aux Etats-Unis en 2016 et de Jair Bolsonaro au Brésil en 2018, d’autres personnalités et mouvements ultraconservateurs ont percé électoralement ou acquis une nouvelle notoriété ces derniers mois en Amérique latine.
C’est le cas de Javier Milei en Argentine. Cet économiste « anarcho-capitaliste », anti-avortement et climatosceptique a recueilli 17 % des voix aux législatives du 14 novembre, obtenant deux sièges à la chambre des députés de la ville de Buenos Aires.
Le Pérou est également confronté à la montée de mouvements d’extrême droite. Des myriades de collectifs très agressifs et utilisant des symboles néofascistes ont occupé les rues pendant des semaines après l’élection, le 6 juin, de Pedro Castillo (gauche). Viscéralement « anticommunistes », ces groupuscules trouvent que Keiko Fujimori, la candidate de droite arrivée en deuxième position, est « trop molle » et lui préfèrent Rafael Lopez Aliaga, membre de l’Opus Dei, qui a atteint la troisième place (11 %).
Evangéliques ou catholiques, ultralibéraux ou néoconservateurs, les mouvements d’extrême droite latino-américains, très investis dans la production de « fake news » sur les réseaux sociaux, à l’instar de Jair Bolsonaro, sont variés. Ce qui les unit : non seulement la haine du communisme et du « castro-chavisme », mais aussi celle de l’« idéologie de genre ». Ils s’opposent à l’avortement légal, au mariage pour tous, à l’éducation sexuelle et aux droits LGBTI dans un continent marqué par des mobilisations féministes d’ampleur.
« Ils font tous appel à la peur qu’inspire l’exemple vénézuélien, explique Gaspard Estrada, directeur exécutif de l’Observatoire politique de l’Amérique latine et des Caraïbes de Sciences Po. Et attisent les craintes liées à l’immigration, qui est une réalité dans des pays comme la Colombie, le Pérou, l’Equateur ou le Chili. » Près de 6 millions de Vénézuéliens ont fui la misère ces dernières années, principalement vers ces pays. La montée de l’extrême droite au Chili traduit aussi une réaction aux épisodes de violence ayant émaillé les mouvements sociaux contre les inégalités de 2019 et le mouvement des indigènes mapuches dans le Sud.
« L’élément idéologique structurant de cette extrême droite, c’est le national-catholicisme du franquisme espagnol, de l’Opus Dei et de Vox », analyse Elio Masferrer Kan, professeur à l’Institut national d’anthropologie et d’histoire de Mexico. Le parti d’extrême droite espagnol tente précisément de tisser des alliances dans le sous-continent. Il a réuni les différents mouvements de la région autour de la signature, le 26 octobre, de la « Lettre de Madrid », une déclaration qui s’inquiète de l’« avancée du communisme » dans l’« Ibérosphère ».
Mouvement symétrique à gauche
« Une partie de la région est prisonnière de régimes totalitaires d’inspiration communiste, soutenus par le narcotraficc et des pays tiers », dit le texte. Parmi plus de 9 500 signataires, tous les nouveaux noms de l’extrême droite latino-américaine : Eduardo Bolsonaro, fils du président brésilien, José Antonio Kast, Javier Milei, Rafael Lopez Aliaga ou encore le Bolivien Arturo Murillo, ministre de l’intérieur accusé d’avoir ordonné la répression sanglante, en novembre 2019, des manifestations consécutives au départ forcé du président Evo Morales.
Keiko Fujimori, dont plusieurs membres de son parti, Force populaire, ont paraphé le texte, ne figure pas dans la liste. Mais elle a participé virtuellement, le 10 octobre, à un meeting organisé à Madrid par Vox, où elle a dit partager sa préoccupation face à « la menace du socialisme du XXIe siècle ». Plus surprenant : la présence parmi les signataires de membres de la droite plus traditionnelle, tels que de nombreux parlementaires du Parti action nationale (PAN) mexicain ou de Proposition républicaine (PRO, fondée par l’ex-président Mauricio Macri) en Argentine.
Mais cette montée de l’extrême droite ne doit pas occulter qu’un mouvement symétrique s’opère à gauche, nuance M. Estrada : « On note une lassitude des électeurs par rapport à l’offre politique qui a gouverné la plupart des pays, de droite comme de gauche. Il y a eu des alternances, mais pas d’amélioration concrète du niveau de vie. » Et cette situation s’est aggravée avec la pandémie, avec une hausse de la pauvreté et des inégalités. En ce sens, la victoire de Pedro Castillo au Pérou et l’arrivée de Gabriel Boric au second tour au Chili, plus à gauche que les sociaux-démocrates traditionnels, « sont tout aussi révélatrices de ce besoin de renouvellement ».
M. Masferrer Kan réfute d’ailleurs l’idée d’une montée préoccupante de l’extrême droite. Il rappelle qu’au Pérou, Rafael Lopez Aliaga a fait moins de 12 %. Et, au Chili, il attribue les résultats du premier tour à l’abstention d’une gauche « non parlementaire » à ce qu’elle considère comme des élections « bourgeoises ».« En revanche, précise l’anthropologue mexicain, elle a participé à l’élection des membres de l’Assemblée constituante » en mai, permettant que celle-ci soit largement dominée par la gauche.
« Il faut voir si, face à un candidat néopinochetiste, la participation va augmenter au second tour », souligne M. Masferrer Kan. Les premiers sondages donnent en tout cas Gabriel Boric gagnant face à son concurrent d’extrême droite.
***